Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article DESERTI AGRI

DESERTI AGRI. Terrains abandonnés par leurs propriétaires et demeurés incultes. La loi fiscale du basempire forçait les curiales du territoire où ces domaines étaient compris, ou même certains propriétaires voisins, de réunir ces fonds à leurs possessions, afin de ne pas perdre la quote de l'impôt afférente à ces immeubles'. Cette adjonction forcée se nommait adjectio ou en grec Foctêoar 2. On y voyait surtout, à l'origine du moins, un moyen de remédier à des fraudes pratiquées par des concessionnaires à bail emphytéotique [EMPHYTEUSIS]. Ainsi, après une adjudication faite par le fisc, à tant par jugerum, de riches preneurs cédaient à des pauvres des terres peu productives, chargées d'un cens égal aux biens fertiles qu'ils conservaient. Les nouveaux concessionnaires, bientôt devenus insolvables, laissaient ces terrains stériles, faute de pouvoir en payer soit le cens, soit l'impôt au fisc, qui se trouvait en perte. Le fisc, qui avait cédé le domaine primitif à l'emphytéote, réunissait les fermages et l'impôt des fonds stériles aliénés aux terres conservées dans les mains des acquéreurs originaires 3, et provenant de la même concession, ex eadem substantia 4. Suivant M. Serrigny, dont nous examinerons plus loin l'avis, cette ad,jection se justifierait à l'égard de fermages dus au fisc, par l'hypothèque tacite accordée au fisc pour le payement des créances nées de ses concessions; mais quant aux impôts, l'adjectio formerait une dérogation à la règle d'après laquelle l'impôt foncier frappait le détenteur actuel et non ses auteurs, et surtout ses voisins 6. Relativement aux fonds des particuliers, l'adjectio n'avait lieu d'abord que pour les biens des cohéritiers, associés ou possesseurs inscrits conjointement sur le livre du cens et formant un article unique 6. L'abandon des agri deserti se produisait depuis longues années spontanément, par l'effet général de causes économiques et sociales et indépendamment de toute idée principale de frauder le fisc. Quand on délaisse la culture d'un fonds par suite de jachère, ou faute de moyens de culture ou par crainte de guerre civile ou extérieure, on peut ne pas avoir l'intention d'en abandonner ni la propriété ni même la possession. Le défaut de culture n'entraîne donc pas toujours la perte de la POSSESSIO. Elle se conserve, en ce cas, par la seule volonté, anime solo, suivant une constitution de Dioclétien et Maximien, rendue en 290 de J.-C.', et notamment si l'on a tardé d'ex DES 107 DES ploiter par crainte, ex metus necessitate, ce n'est pas un cas de bien proprement abandonné, derelinquendi affectione. En principe, le propriétaire demeurait tenu de l'impôt sauf à lui de solliciter une remise, si quelque danger extérieur ou quelque cause de force majeure avait arrêté ou empêché l'exploitation. Au reste, malgré l'opinion des jurisconsultes Sabinus et Africains, l'abandon volontaire d'un domaine particulier n'en faisait pas perdre la possession au maître, d'après l'avis de Proculus 10, suivi par Paul au nue siècle à moins que le colon n'eût livré la possession à un tiers'', ou que, d'après Papinien, un tiers autre ne se fût emparé du fonds pendant l'intervalle 13. Mais Justinien, pour trancher ces difficultés, décida, par une constitution insérée dans son code", que la tradition faite à un tiers par le colon ne peut pas plus que sa simple négligence préjudicier à la possession du propriétaire, ce qui ne paraît pas conforme aux vrais principes du droit sur la possession et ce qui a conduit A. Faber et Doneau à restreindre le sens général de cette loi au cas où la chose n'a pas été livrée réellement à un tiers76. Mais Vinnais écarte, avec raison peut-être, cette interprétation qui semble contraire au texte vel alii prodiderint 16, et à l'esprit du législateur, ne ex aliena malignitate alienum damnant emergat. Nous supposerons donc toujours, en parlant des champs déserts, que le maître a eu l'intention d'en perdre au moins la possession et que nul ne s'en est emparé à son défaut. L'abandon de terres cultivables était un mal ancien chez les Romains et qui remontait au dernier siècle de la République ". Il résultait de deux causes principales, soit des guerres civiles ou étrangères aboutissant à la ruine, au massacre ou à la proscription 18 des propriétaires et des cultivateurs libres, soit des vices de l'ordre social ou de la législation économique et financière, qui condamnaient les possesseurs à renoncer à la culture des terres1°. En effet, les lois qui établirent des distributions de blé gratuites ou presque gratuites à Rome 20 devaient décourager la culture des céréales en Italie". Ce système fut cependant étendu, sous l'empire, à de grandes cités, et à la nouvelle capitale, Constantinople, comme à Carthage, à Alexandrie, etc., avec les mêmes conséquences fatales". La substitution de la culture pastorale ou potagère par les esclaves, dès la fin de la république, à la culture du blé contribua à la formation de vastes domaines, qui se multiplièrent par la suite [LATIFUNDIA, PASCUA]. Un nombre toujours croissant de petites propriétés demeurèrent incultes. Les colonies militaires de vétérans, bien que souvent recrutées [COLONIA], réussirent rarement 23, et devinrent Comm. 18; Ant. Flatter, Decur., 4; Error. 2 et s. -16 Vinnius, ad Inst. IV, 15, une nouvelle cause d'abandon du sol. La Campanie elle-même eut ses terres en friche Dans les provinces frontières comme en Gaule", en Thrace, clans la Mcesie, la Dacie, la Pannonie, etc., les invasions des barbares, de plus en plus fréquentes et dangereuses à partir du milieu du troisième siècle de notre ère, dévastèrent d'immenses étendues de terrains 2f Mais l'élévation même de l'impôt foncier et les vexations des employés [CAPITA'rlo TERRENA] firent plus de mal que les invasions passagères 27, car ces abus ne permirent pas de réformer par l'agriculture une souche de cultivateurs libres ni les éléments d'une nouvelle classe moyenne pour recruter les citoyens des villes [ctvITAS, CURIALES, DECURIO, MUNICIPIl73I] 28. Le désert se prolongea de plus en plus 'e dans Ies provinces même non ravagées par les Barbares. Les cultivateurs libres 30 (agricolae, rzlsticani, colorai liberi) et les curiales eux-mêmes 31 s'enfuyaient, les uns dans les villes, les autres chez les Barbares, laissant les terres en friches (agni deserli ou steriles) 32. La législation administrative du bas empire si vaste, si ingénieuse, mais si compliquée et si tyrannique, s'efforça vainement de remédier au mal; il eût fallu réduire le budget des recettes et donner des garanties aux contribuables, en un mot fonder un gouvernement représentatif que les lumières et les moeurs du temps ne comportaient pas. D'ailleurs le système administratif et militaire qui soutenait, en l'épuisant peu à peu, l'empire réorganisé par Dioclétien et Constantin, ne paraissait pas pouvoir permettre la réduction des dépenses : il y avait là une sorte de cercle vicieux dont les idées politiques et économiques du temps ne permettaient guère de sortir, même par une réforme profonde. Voici ce qu'imaginèrent les empereurs les plus habiles et les mieux intentionnés. D'abord ils cherchèrent à rattacher à la terre les laboureurs par l'institution du colonat" [coooNus], sorte de classe demi-servile et liée à la glèbe; puis ils distribuèrent des colons barbares [DEDTTITII] aux propriétaires, aux cités et aux bourgs [vices]" ; puis ils installèrent dans les provinces désertes des colonies militaires de barbares ou de vétérans 36, GENTILES, LAETI, milites limitanei, sur des fonds appelés terree laeticae ou fundi limitaxei; enfin ils établirent, en province, des peuples entiers de Barbares alliés ou fédérés, foederati [FoEnus], à charge de service militaire comme auxiliaires, auxilia. Toutes ces mesures furent insuffisantes ou dangereuses; car elles introduisirent au sein de l'empire un ennemi prêt à reconquérir son autonomie [BARBABI] et qui, en attendant, occupa tous les grades militaires, méme le consulat, le patriciat et enfin le trône impérial36. D'autre part, pour assurer le Major. nit. VIII, De curial. § 10; Novell. Just. 151; Libanius, Graf. X, in Julian, DES -108 -DES rendement de l'impôt sur le capital appelé cAPITAT1O TERBENA, les empereurs attribuèrent aux sénateurs municipaux ou décurions un rôle important dans le recouvrement", et une responsabilité collective et solidaire relativement aux cotes irrécouvrables 38 [cunixtis]. En outre, la condition des curiales ou décurions fut rendue héréditaire 3r., et même imposée aux possesseurs d'une certaine fortune t0, et leurs fonds déclarés inaliénables sans une autorisation spéciale ; on ne permit pas aux curiales de quitter leurs frontières pour entrer dans le colonat, dans l'armée, dans l'administration, ou même dans un cloître. Mais ils s'efforcaient d'échapper à ces rigoureuses prohibitions et de dérober eux ou leurs colons " aux déclarations exigées pour le cens; ils en venaient même parfois à dévaster leurs domaines pour les soustraire aux exigences du fisc'. Malgré l'exemption de la torture et de certaines peines et les privilèges honorifiques accordés auxdécurions43, en dépit des remises dimpôts parfois concédées (indulgentia relie quorum), malgré la sévérité même déployée contre les fraudes et les exactions de certains agents fiscaux" et les divers moyens imaginés pour recruter les curies municipales, le nombre des curiales allait toujours en décroissant et se trouvait réduit à peu de chose au temps de Justinien ". Les propriétaires non décurions, possessores, non moins maltraités par le fisc, désertaient souvent leurs immeubles. Les petits propriétaires, dont il restait encore un certain nombre en Gaule, en Thrace et en Palestine+v6 se voyaient trop fréquemment réduits à abandonner leurs champs47, ou à se soumettre au colonati8, ou à se placer sous le patronage d'un grand (patrocinium vicorum), afin d'échapper aux e.xactoresn, L'empereur, pour l'exploitation des fonds patrimoniaux ou des terres vacantes attribuées au fisc, funeli rei prizatae, recourait d'ordinaire au contrat d'emphytéose, qui tendait à faciliter le défrichement ou l'amélioration des biens. Les cités, aussi. pratiquaient, pour ce qui leur restait de leurs domaines culti vables '0, praedia civitatis vel pu/Atm, le bail à long terme, agervectigalis, qui avait été l'origine de l'emphytéose31. Malheureusement les emphytéotes eux-mêmes, invoquant le manque de bras, renoncaient parfois à la possession des terres par eux prises à bail' . Mais le principal motif de ces désertions était certainement l'extrême élévation du tribut (jugatio). Nous y voyons, avec WVal ter'3, non un impôt sur le revenu, mais bien sur le capital, d'après les déclarations faites au cens (professiones) et embrassant, avec les terres, les esclaves, le bétail, les instruments, etc., estimés à leur valeur vénale. L'indication nouvelle faisait connaître la quantité d'aurei ou solidi, écus d'or valant 15',10 au bas-empire 5k, que le possesseur imposé devait payer, d'après une valeur de 1000 solidi prise pour unité [cAPUT, JDGG;uI, MILLENA], d'après la théorie de Walter et de Matthiess5". Le taux de la prestation variait du simplum ou un solides par 1000, chiffre primitif, à sept solidi, comme sous Julien (taux modéré pour le bas-empire), et mème à 25 en Gaule, c'est-à-dire du millième au cent quarante-deuxième et au quarantième du capital. Ce taux énorme a donné lieu aux économistes les plus éminents 56 de douter que le millena fût une valeur réelle, mais M. C. Giraud a maintenu que c'était bien une valeur vénale fixée d'après la valeur moyenne du fonds dans les deux années précédentes, et déclarée sous les peines les plus sévères; seulement cette estimation, déjà assez faible en elle-mème, à raison de l'insécurité générale et de la difficulté des ventes, devait être encore affaiblie par les déclarants. Malgré cela, ce taux de l'impôt était ruineux et conduisait à l'abandon de la culture. Constantin dut remettre aux Éduens 7,000 capita ou la cinquième partie de l'impôt de leur cité, pour rendre possible la perception des 25,000 autres, sur un territoire évalué 32,000 capita 67. La révision générale des estimations n'avait lieu que tous Ies dix ans à l'origine et, plus tard, tous les quinze ans. Dans l'intervalle, néanmoins, un propriétaire pouvait réclamer du censitor une décharge ou une réduction J8, pour détérioration de valeur, indépendamment des remises que l'empereur accordait à titre gracieux, indillgentia, à une cité ou à une province, pour les termes échus (reliquorum), en cas de calamité ou par voie de dégrèvement général. Ce n'étaient là que des palliatifs insuffisants. Les possesseurs, écrasés par l'impôt, laissaient naturellement stériles les terres qui ne pouvaient rapporter un revenu net assez fort pour leur laisser un bénéfice après l'impôt payé 53. 11 était absurde de frapper de confiscation les terres stériles ainsi laissées incultes, car nul acquéreur nouveau n'aurait entrepris de les cultiver. En outre, en atteignant le capital plutôt que le revenu, la capitatio terrerai tendit à restreindre la production 60. Néanmoins les empereurs voulaient lutter contre le fléau de l'abandon des terres et contre l'envahissement du désert. Pertinax concéda au premier occupant les terrains du fisc demeurés incultes [ACIER PUBLICUS,, toutefois avec immunité d'impôts pendant dix ans °i. Aurélien prescrivit de forcer les décurions des cités à se charger des biens déserts situés dans leur territoire fie, qui ne trouvaient ni maîtres ni preneurs, moyennant une exemption d'impôt pendant trois ans pour ces fonds. Cette règle fut rappelée et confirmée par Constantin, avec cette modification que, si les décurions n'étaient pas assez riches pour supporter cette surcharge, elle serait répartie entre les possessores du territoire 63. Il n'y a pas lieu de distinguer, comme l'ont fait certains in DES 109 DES terprètes ", entre les champs abandonnés par un particulier avec la volonté de s'en défaire, agri pro derelicto habitus, et qui seraient ainsi destinés purement et simplement au premier occupant, et les biens que le propriétaire laisserait seulement à l'abandon et sans culture. Suivant ces auteurs, le maitre ne pourrait reprendre les premiers dans les deux ans comme agri deserti. Mais, sous l'empire, la théorie de la derelictio ne s'appliquait guère qu'aux meubles ; suivant nous, on doit même admettre, en invoquant une loi de Dioclétien60, que les biens abandonnés avec l'intention d'en perdre la propriété, aigri derelicti, furent assimilés par les empereurs aux biens des successions vacantes ou caduques [soxA vACANTIA] et, par analogie, attribuées au trésor public, puis au fisc G6. Ainsi les immeubles en général cessèrent de pouvoir être acquis par occupation, occupatio [DOMINIUM]. Néanmoins, on permit d'occuper une fie dans la mer, cas fort rareG7. Ulpien n'admet pas l'alluvion au profit d'un riverain dont le champ est de la catégorie des limitati (ager limitatus) et attribue, en ce cas, l'île ou le lit abandonné au premier occupant". A part ces exceptions, les immeubles derelicti, en général, ne purent être occupés que comme les fonds abandonnés (agri deserti) concédés à des tiers et sous les mêmes conditions. En effet, les textes des compilations de Justinien qui parlent d'occupation de res nullius ou derelictae supposent presque toujours des meubles n. Dioclétien donne au fisc les biens des métèques ayant passé d'une cité dans une autre et non vendus par eux. On traite ces fonds derelicti comme biens vacants 70. Effectivement il eut été bien difficile de rechercher en fait, pour y rattacher une distinction juridique, si un maître qui a laissé longtemps un champ désert avait eu ou non l'intention spéciale d'abdiquer dès le principe son droit de propriété, ou seulement l'intention vague de renoncer à l'exploitation du sol, sans s'inquiéter du point de savoir si un tiers en prendrait possession. Comment admettre ici en général une tradition à une personne incertaine, in incertam personam'° ? Le seul point important était de constater, à l'occasion de l'impôt, que ce propriétaire avait renoncé à la possession. Or les empereurs paraissent le présumer dès qu'il n'a fait aucun acte d'exploitation sur le fonds laissé désert, et qu'il n'a pas acquitté ce tribut. Une constitution rendue en 364 indique déjà l'usage d'accorder des biens déserts à des particuliers, moyennant une certaine immunité12. Malheureusement le titre du code Théodosien qui traitait de l'attribution des deserti agri est très défectueux 73; il ne fournit que des indications qu'on ne peut compléter qu'en partie à l'aide d'autres textes et du titre de omni agro deserto du Code Justinien 7'", où plusieurs constitutions antérieures ont été manifestement mutilées ou modifiées. Quelques mots d'une loi rendue en 365 par Valentinien et Valens permettent de conjecturer que les empereurs chrétiens autorisaient l'attribution aux vétérans et aux Barbares colonisés, appelés GENTILES, des domaines abandonnés 76. La même année, ces princes écrivent au préfet du prétoire que les particuliers eux-mêmes pourront obtenir la concession des fonds déserts, avec exemption de tribut pendant trois ans 7G. Ceux qui ont reçu de l'empereur des esclaves ayant abandonné les aigri deserti ou qui ont attiré ces colons sont tenus de payer le tribut de ces biens77. Un autre rescrit, adressé à Mamertin, suppose que, même en Italie, les propriétaires étaient chargés de l'adjonction des terres désertes, aphanticiae jugeratio ou adjectio, et pour prévenir cet abus,'ordonne la mise aux enchères de la deserta jugetioT8; ce qui ne dut produire aucun résultat. En 386, Valentinien, Théodose et Arcadius ordonnent de rappeler les maîtres qui ont abandonné leurs fonds, et, s'ils ne sont rentrés au mois de mai de l'année de la demande, attribuent ces biens à ceux qui Ies réclameront ; cette disposition, probablement locale et temporaire, fut généralisée par les mémesempereurs 79, avec cette modification que le maître pourrait revendiquer pendant deux ans, à charge de restituer ses impenses au concessionnaire ; cela signifie peut-être que la concession émanée du fisc impérial est assimilée, dans ses effets, à un juste titre d'usucapion80. En ce cas, l'immunité d'impôt paraît ayoir été réduite à deux ans. Ces mesures ne suffirent pas sans doute pour attirer des possesseurs. En 393, ces empereurs reproduisaient les dispositions de Constantin sur l'adjectio; en 398, ils les appliquaient aux occupants non autorisés des biens déserts 8i. En 400, Théodose et Honorius organisèrent une procédure plus expéditive. Les propriétaires absents sont sommés par ordonnance (edicto vocati) de rentrer dans les six mois en possession de leurs biens, en payant les termes arriérés; sinon les fonds sont attribués aux impétrants, moyennant un certain canon et l'impôt à échoir 82. Cette décision est confirmée, en 417, par Honorius et Théodose : ils reconnaissent le droit irrévocable du pétitionnaire auquel l'agent du fisc, chargé de la revision du cens (peraequator), a une fois attribué le fonds désert, praedium addicit; ils n'admettent plus que pendant deux mois les réclamations des créanciers hypothécaires ou des autres ayants droit 83. Toutefois, si c'était un ancien fonds des navicularii, l'acquéreur restait tenu des charges qui pesaient sur les immeubles des membres de la corporation n. Les biens patrimoniaux des empereurs, /lundi patrimoniales, étaient parfois abandonnés par les colons; en ce cas les constitutions autorisèrent les tiers à s'en charger soit comme preneurs, conductores, soit même comme possesseurs, à condition de fournir caution, de, payer le cens et l'impôt après l'expiration du délai d'immunité85. Ceux qui ont cultivé des biens patrimoniaux du prince déjà abandonnés et qui les ont fécondés en sont reconnus propriétaires moyennant le payement du canon; ceux qui ont pris des terres fertiles doivent subir l'adjectio des terres incultes du même domaine; les emphytéotes eux DES 110 -DES mêmes qui ont des biens des deux catégories doivent, après deux ans d'immunité, payer l'impôt pour les mauvaises terres. Nul ne peut, dans le cas où la loi l'exige, se refuser à recevoir (diacathociae vicem) les domaines impériaux incultes (defectas possessiones patrimoniales juris) d'abord les plus voisins et du même territoire, et même, à leur défaut, de plus éloignés e6. Quand on a pris comme emphytéote des biens patrimoniaux, jure privato, à charge de canon, on peut être également contraint de subir l'adjonction de terres moins fertiles ou d'abandonner le tout ", aux termes d'une constitution impériale rendue en 394 par Théodose, Arcadius et Honorius. Mais ce système, de nature à décourager les entrepreneurs d'exploitation, fut écarté, en 444, à l'égard des cultivateurs qui, ayant pris à titre d'emphytéose des fonds stériles, les auraient améliorés ; ils ne devaient plus subir d'adjectio n en vertu d'une Novelle de Théodose II, qui constate toute l'absurdité des abus antérieurs 89. Les biens communaux cultivables, praedia publica, ou reipublicae, ou civitatis, ou agri reipublicae, étaient depuis longtemps donnés à long terme [AGER VECTIGALIS] ou en emphytéose 90. H arrivait trop souvent aussi que ces fonds étaient désertés par les colons ou les emphytéotes et demeuraient abandonnés (praedia clefecta) ou incultes (squalida). Les empereurs y appliquèrent, dans l'intérêt du fisc comme de l'agriculture, des dispositions analogues à celles qu'on a décrites pour les biens des particuliers et pour les _fonds patrimoniaux des princes. Les preneurs de fonds municipaux furent obligés de recevoir leur part des immeubles déserts ou de céder le tout aux curiales, qui devaient supporter la charge définitive des déficits 91. Cela s étendit même aux possesseurs qui avaient pris à emphytéose des fonds des temples [BONATEMPLOxt7Ml, cédés ou non aux cités; ils furent tenus de subir l'adjonction du praedium stérile, souspeine de déchéance [cosuissuM], auquel cas on cherchait un autre preneur. Au défaut de ce dernier, le bien revenait aux anciens possesseurs, c'est-à-dire aux curiales, ou à celui qui avait fait donation au temple92. Toutefois cette nécessité fut restreinte ensuite au cas où les biens déserts provenaient originairement du même patrimoine que les fends fertiles 93, par une constitution que provoquèrent les abus subis par les possesseurs d'Afrique, contraints de payer des tributs excessifs pour les fonds abandonnés. Quant aux champs que le municipe a manifesté par des actes publics l'intention d'abandonner, les possesseurs qui les ont cultivés les gardent irrévocablement 9''. Cujas voit là une application de la théorie de la derelictio 95. Mais les communes ne pouvaient en général aliéner leurs immeubles sans autorisation 96. II y a donc là plutôt une mesure d'utilité publique, par laquelle le fisc renonce à ses droits sur les biens laissés sans culture. Lorsque l'emphytéote d'un bien patrimonial du prince ou d'une cité ou d'un particulier aliénait une partie du domaine à lui concédé, de manière à séparer les terres fertiles des champs non cultivés ou improductifs, le fisc pouvait contraindre l'acquéreur à prendre le tout97. Peut-être ne faut-il pas voir là, avec M. Serrigny 98, une conséquence de l'hypothèque du fisc, mais plutôt, avec J. Godefroy, un abus du droit exorbitant d'adjectio 99, dans l'intérêt fiscal. Il est évident que ces mesures furent en général plus nuisibles qu'utiles. Justinien, dans trois de ses Novelles, crut devoir encore modifier la législation antérieure. En 535, il décida qu'un possesseur pourrait être tenu du tribut d'un autre fonds, lorsqu'il l'aurait rendu désert en attirant les colons ou adscriptii, et s'il s'obstinait à ne pas les rendre'. En 541, le préfet du prétoire Démosthènes, pour mettre fin à une controverse, ordonna que l'acquéreur d'un bien provenant d'une succession et devenu stérile subirait l'adjectio et, à son défaut, son auteur et ainsi de suite en remontant jusqu'à l'auteur primitiff0'. En 545, Justinien dispose que le fonds dont on ne trouve pas le maître, ou devenu impropre à payer le tribut, sera réuni aux praedia conserva ou contributoria, avec tous ses accessoires, d'après les lois précédentes; faute de quoi, les agents du fisc, après en avoir dressé un état devant le président de la province, prendront possession du bien, pour le rendre s'il y a lieu, frais déduits, à celui qui doit le recevoir. Du reste l'adjectio ne peut s'opérer que d'après l'ordre du président, sauf appel au préfet du prétoire 102. Enfin la Novelle 168, qui n'est, comme la Novelle 166, qu'une ordonnance du préfet du prétoire, forma praefectipraetorio,recommande de n'imposer l'adjectio que pour des biens compris au